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Rando d'un mois en Bretagne : compte-rendu

Sujet commencé par : Danae - Il y a 266 réponses à ce sujet, dernière réponse par kefiretlome
5 personnes suivent ce sujet.
Par Danae : le 11/01/14 à 17:47:34

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 Bonjour à Tous !

L’été dernier, j’ai accompli un vieux rêve en accomplissant une randonnée d’un mois sur les chemins bretons avec mon compagnon, mon chien, et bien sûr Eden, mon trotteur.

C’était une expérience magnifique, environ 350 bornes de bonheur, que je souhaite à chacun d’avoir l’occasion de vivre un jour. J’aimerais vous la faire partager via ce post, afin de vous faire profiter des belles images, des bons plans, des idées qui nous ont aidés, mais également de nos erreurs.

En effet, je n’aurais pas aussi bien planifié cette randonnée sans les expériences des autres cavaliers randonneurs dont j’ai pu profiter via ce forum, notamment grâce à de très beaux journaux de randonnée très bien écrits ; et j’aimerais rendre la pareille à ceux qui pendant les mois d’hiver rêvent de préparer leur premier long périple pour la belle saison.

C’est pourquoi je vais essayer de donner les détails techniques qui m’ont particulièrement aidés, en plus de vous raconter nos aventures ! Je m’aiderai d’un journal de rando que j’ai tenu jusqu’à la moitié du parcours, après quoi j’ai eu grave la flemme, comme il se doit pendant les vacances. Mais je me souviens de tout.
Lecteurs non assidus s’abstenir, ce sera pavé sur pavé ! Mais je vous promets une lecture aussi agréable que possible !

J’espère que ça vous plaira !

Messages 201 à 240, Page : 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7

Par Danae : le 18/03/14 à 21:37:20

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Ben j'aimerais justement beaucoup beaucoup partir vers le sud avec mon chéri et Eden, et traverser le massif central en diagonale pour atterrir dans la Provence et l'Ardèche. Mais ce ne sera peut-être pas pour cet été, pour une bête question d'argent : faudrait qu'on soit tranquilles pour partir plusieurs mois, et cette année malheureusement on a pas assez travaillé. mais si t'as des itinéraires je les veux bien c'est toujours bon à prendre !!

Cet été on ne sait pas encore. Tout dépend du taf disponible, ce sera à la dernière minute comme d'habitude qu'on se décidera ! mais j'aimerais bien visiter l'ouest de la Bretagne aussi , ça pourrait faire un projet plus modeste... chais pas encore.

En attendant, la suite !

Par Danae : le 18/03/14 à 21:40:41

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La date du grand retour approchant, nous décidons de mettre le cap au sud-est, vers Muzillac, où j’ai donné rendez-vous au transporteur. Nous flânons sur de petites routes de campagne, évitant les grands axes et prenant soigneusement notre temps. Le temps est doux, le ciel voilé, et la mélancolie de la fin de vacances pointe son nez, teintant notre insouciance habituelle d’un vague à l’âme bien connu, celui qu’on ressentait, gamins, à la fin de nos étés.

Sur la route, nous croisons une ferme où je me fais offrir de l’aliment pour bovin par un paysan (Eden a déjà fini ses rations : comme il a perdu un peu de poids je ne lésine pas sur la dose). Le bougre tente d’abord de me vendre son seau dix euros, et de dépit, refuse la piécette que je lui propose à la place : c’est tout ce qui reste de ma fortune. Pis faudrait pas abuser non plus hein. Il me vante quand même son granulé, quand je lui demande ce qu’il contient : « Bah, c’est très bien hein. Pour votre bête, ce s’ra comme du chocolat ». Vu comme Eden se rue dessus à la pause suivante, je lui donne raison.

En fin d’après-midi nous atteignons l’orée du village de Questembert, sous un ciel dégagé plein de lumière rousse. Nous croisons un pré abritant un magnifique selle français bai, marqué de grandes balzanes blanches, parfaitement musclé et nerveux comme tout. Une jument nettement moins altière l’accompagne, mais du coup on a pas retenu son apparence, tellement son collègue l’éclipsait. A l’autre bout du pré, nous apercevons les propriétaires, qui nous aperçoivent et nous font signe. Nous ne pensions pas nous arrêter tout de suite, mais ces gens ont l’air sympa : c’est parti pour un bivouac potentiel. Nous bifurquons à l’intersection suivante et rejoignons leur maison, attenant à leur pré. Le selle, tout excité, chante après Eden.

Nous somme reçus avec un joyeux enthousiasme. La famille accepte immédiatement de nous héberger pour la nuit, et nous faisons connaissance. Le père de famille et sa femme sont des gens plein de vie, et leur jeune fille de 16 ans est l’heureuse propriétaire du beau cheval, avec lequel elle tourne en concours de CSO. La famille vit provisoirement dans une caravane, ayant entrepris des travaux de grande ampleur dans la maison. La grange nous est offerte, et pour Eden le petit pré individuel attenant, plein d’herbe d’été. Comme à son habitude, il se roule pendant que je m’occupe de lui remplir un seau d’eau, avant de se ruer sur l’herbe. Il est en mode «foutez moi la paix, vous marchez sur ma bouffe », alors j’abrège les câlins pour ranger nos affaires dans la grange.

En fait c’est une grange de luxe : en plus du foin et du bordel classique, elle abrite un frigo et un clic-clac. Nos hôtes nous offrent gentiment la jouissance des deux objets, ce qui n’est pas rien : nous n’avons pas dormi sur un matelas depuis un bout de temps, et le frigidaire n’en parlons pas ; il est plein des restes d’une soirée d’anniversaire passée, et donc de petits pâtés et d’alcool. C’est la luxure la plus décadente, mais qui nous semble étrangement à propos pour reprendre pied avec la civilisation qui nous rattrapera dans trois jours. Nous sommes également invités à prendre une douche quand nous serons installés. Sur ces bons mots, et après un petit apéritif d’accueil pris en commun, nos hôtes nous abandonnent. Deux secondes plus tard nous avons la tête dans le frigo. C’est terrible. Il y a du pinard. Deux cubis. On a des verres. Vides. Une suite logique s’enchaîne à partir de là, nous amenant un peu plus tard à la porte de leur caravane pour profiter de cette fameuse douche dans un très joyeux état.

Entre deux nous avons lâché Kinaï qui est parti à la rencontre de leurs deux beaux chiens, attachés au pied de la caravane par égard pour Pouletto, qui aurait fini croqué sans cette précaution. Un beau bouvier encore bébé nous saute au visage pour nous lécher les oreilles, et tente innocemment d’entrainer Kinaï dans une partie de papattes potentiellement mortelle pour ce dernier. Lequel se tire, pas si fou, préférant lever la patte avec ostentation sur les fleurs, sous l’œil méfiant de la vieille lévrier afghane qui garde également les lieux. Pouletto quand à elle, est attaché par la patte dans la grange, près du tas de foin qu’elle essaye de picorer. Elle nous a d’abord fait un scandale, avant de se résigner et d’explorer les lieux avec l’allonge autorisée.


Pouletto et Kinaï partagent les restes de pâté.

Par Danae : le 18/03/14 à 21:58:19

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A la nuit tombée, nous sommes invités à manger par nos hôtes, qui se serrent pour nous faire de la place autour de leur minuscule table de caravane. Le souper est joyeux, et Merlin, pyromane de son état, apprend avec enchantement le métier du père de famille, qui est artificier. Il lance des feux d’artifices sur toutes sortes d’évènements, et apprend à Merlin quelle formation lui serait nécessaire pour faire le même job, à temps plein ou partiel. Puis nous discutons poneys, et j’apprends un peu mieux l’histoire de leur fille et de ses chevaux. Le repas est bien entendu correctement arrosé, et se poursuit tard. A bout de forces et de pinard, je pars bientôt me coucher, tandis que Merlin discute avec notre hôte jusque tard dans la nuit, buvant du vin et fumant des cigarettes sur la terrasse comme deux cowboys sous les étoiles. On me pardonnera cette comparaison niaiseuse, mais mon humeur à ce moment se prête aux métaphores mélancoliques à taux d’alcoolémie variables. Je m’effondre sur le clic-clac et le matelas m’engloutit.

Par carococo : le 20/03/14 à 14:37:19

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Le Finistère, un "no man's land" des plus séduisants...
Parcourir le massif central d'est en ouest me semble tranquillement faisable sur une période de 3 mois, cartes, notes et bons plans à l'appui , bien que souvent je ne respecte pas mes itinéraires, en bon "survivor"qui se respecte!
Quoi qu'on en pense, quelques deniers peuvent suffire à vivre de belles aventures, avec de l'imagination, une bonne dose d'humour (surtout!), et certes, quelques concessions!
Le voyage nomade me semble être une volonté de tendre vers le mode de vie originel.
Les souffrances physiques sont-elles libératrices de l'esprit?Permettent-elles un épanouissement de la vie intérieure? Certains assurent même d'un émoussement des affects (l'hypoglycémie )...Mystère...
Petite précision: non je ne suis pas maso, faut juste que j'arrête de lire des trucs de cinglés
Vous l'aurez deviné, j'ai davantage voyagé seule
C'est que la frustration de ne pas pouvoir m'évader de ma cage dorée cette année me tape sur le système...trop de taf
Ma vengeance sera terrible



Par cocolabricot : le 20/03/14 à 20:56:33

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pour voyager dans des condition "freestyle", ça demande pas trop de fric, mais le souci c'est les "charges mensuelles inhérentes a la vie civile" : loyer appart, eau electricite assurances et j'en passe... faut pouvoir assurer ça le temps ou on est pas la, ou être chanceux et pouvoir squatter cher quelqu'un, ou etre proprietaire, ne pas avoir de frais fixes a payer... ce qui n est pas mon cas... fait chier, j'retourne bosse a mon entrepot... mais cet été je compte bien sur des assedics pour me venger, au moins un petit peu...

Par lysterre : le 21/03/14 à 11:04:21

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Yes...j'ai rattrapé mes pages..
.et me voilà de nouveau en mode frustration..


un jour il faudrait qu'il y ait un sondage sur le pourcentage de soignants dans l'équitation...au sens large du terme...car pour ma part j'en connais beaucoup !

besoin de nature après les "hôpitaux",retrouver du terre à terre ,materner ? se faire bercer par les pas du cheval, oublier le quotidien difficile de la maladie ,handicap ,le stress..

Question région ,j'opte pour la Corrèze pour l’accueil de ses gens ,ils ont le sens du bétail c'est clair...les seuls qui arrêtent le moteur de leur engins lors de nos passages....les Cévennes pour le sauvage (paysage pas l'humain ...quoique.. ...et j'aime beaucoup aussi l’arriège.

et pour le fric je plussoie coco ...une fois mis le pied dans l'engrenage des charges ,d'autant plus quand en entreprise libérale ,il est difficile de s'octroyer 3 semaines de vacances...


Par carococo : le 21/03/14 à 13:00:32

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@lysterre: infirmière libérale aussi?! J'ai opté pendant un moment pour le remplacement mobile à domicile, c'est-à-dire je partais quelques semaines dans une région, bossais à fond durant 15j-3 semaines, souvent l'été, et profitais d'être sur place pour découvrir le coin en rando durant 15 autres jours. Et hop après je changeais de site. C'était un bon compromis, j'ai croisé plein de gens formidables. D'ailleurs, j'ai pas mal remplacé en Corrèze, dans les campagnes de Brive. J'ai été accueillie comme une princesse, songeant même à m'y établir...
Mais bon, je suis une pure égoïste car j'avais laissé mon jules là-haut tout seul dans notre maison...qui s'occupait des chevaux (au pré/abri) attendant le bon vouloir de Madame
Bon, bah là c'est bon suis redescendue sur terre, j'ai ouvert mon cabinet dans mon bled pourri du 62, et tout le monde est content...mais moi ça me manque trop

Euh...serais-je un chouilla hors-sujet?

Par lysterre : le 21/03/14 à 15:01:10

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caro


moi "mon"homme ne veut pas entendre parler de mes chevaux...alors je ne risque pas de les lui confier...et lui jamais il m'accompagnerai en rando...c'est pas merlin !!!

bon de toute façon suis à pied...une retraitée ,un en train de le devenir ,mais surtout en cours de ttt pour Erlichiose et maladie de lyme....et je préfère piquer mes patients que mon cheval ..38cc en IVL pendant 7 jours...
et une pas débourrée encore...

et non les foreumeux Danae n'a pas écrit une nouvelle page... alors nous divaguons...


Bon j'ai 2 pour la corrèze...

Par carococo : le 21/03/14 à 17:02:33

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Chez moi c'est la situation inverse : 2 jeunes qui pètent la forme et une seule cavalière...personne n'est motivé pour m'accompagner dans le nord mais bon sont tellement cool qu'en dextre ça passe. Au moins j'aurais de la place pour emmener ma garde-robe

Par cocolabricot : le 21/03/14 à 19:28:11

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moi aussi j'ai bien aime le remplacement de 2/3 mois l'hiver dernier en aveyron (ou j'ai amene ma jument... dans la neige... ) et la je viens de demenager sur nantes... la plaaaage

bein faut se rendre a l'evidence, apres 3/4/5 ans au meme endroit, j'me fait chi********r!

mais bon, la au niveau boulot, j'en ai marre de galerer en interim, a faire 36 milliards de jobs, meme pas le mien en plus, alors, ein, on va essayer de trouver le cdi ou cdd de plus de 1 semaines deja (meme si c'est pas gagné....)
et oui, ça n'as aucun rapport
et ya toujours pas la suite!!

Par lysterre : le 21/03/14 à 22:02:58

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Bon ..pour patienter nous pouvons aborder les recettes de cuisine !!!


qui a testé les recettes au miel de Danaé et Merlin???

Par kefiretlome : le 22/03/14 à 00:25:58

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Un scoop : Pour connaître la suite (et la fin) du récit de Danae, il faudra acheter la Gazette (et oui, à partir de maintenant, elle devient payante)







Comment ça, nous ne sommes pas le 1er avril ?
Oups

Par cocolabricot : le 23/03/14 à 02:44:05

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COMMENT QUE QU UEUWAH?

Quelle techniqu marketingueu machiavellllllique!

Par JuKillou : le 24/03/14 à 14:17:15

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bah bah bah? elle est où la suite?

Par Danae : le 25/03/14 à 13:26:04

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Ce soir promis !!!

Y faudra que je passe donc faire un tour dans vos régions... ça doit envoyer du pâté en terme de no man's land sauvages....

Par kefiretlome : le 26/03/14 à 00:19:05

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On est demain

Par Danae : le 26/03/14 à 02:15:52

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Mais non mais non !

Et voilàààà :

Jour 29

Nous ouvrons les yeux sur les rais de lumière emplis de poussière qui percent les fentes de la vieille porte de bois. Nous sautons dans nos jeans raides de crasse et attaquons la cuisson du café sur le réchaud, posé à même le sol. Je vais saluer Eden dans la foulée et lui servir son petit dèj, puis quand Merlin donne les premiers signes d’intelligence (signaux vocaux de base et aptitude à marcher presque droit), nous rassemblons nos affaires pour le départ. Je vais chercher Eden, le sors de son pré, et m’arrête net : il boîte. Merde.

Je le fais marcher un peu le long de la route, mais le verdict est sans appel : il s’agit du même antérieur droit que trois semaines plus tôt, et la gêne semble bien trop franche pour reprendre la route. A l’examen, le pied est chaud, sans plus, et on peut sentir un léger pouls battre à sa veine, mais j’ai déjà remarqué au fil de la randonnée que ses pieds constamment stimulés et échauffés laissaient plus ou moins sentir un léger pouls permanent. Pas de marque ou de plaie apparente. Avec un peu de chance ce n’est pas un abcès. Vu comme le fer est déjà élimé, il est possible que la fourchette se soit à nouveau fatiguée. Hier pourtant il n’avait rien…

Je me retrouve à expliquer la situation à notre famille d’accueil, qui se montre bien entendu absolument adorable, et nous laisse disposer de la grange et du foin tout le temps qui s’avèrera nécessaire à Eden. Ils me fournissent le numéro de leur vétérinaire, que je contacte immédiatement. Il arrive… deux heures plus tard. C’est toujours moins de temps pour moi à angoisser sur place ! Eden, que j’avais attaché à l’entrée de la grange, se réveille de sa sieste le temps de donner son pied de mauvaise grâce. Comme de juste, l’examen de la sole et des allures ne révèle rien de précis, mais le vétérinaire penche en faveur d’un échauffement du pied, à cause du fer tout râpé, rendu presque inefficace. Rien d’autre à faire que de soulager sa douleur, lui donner des bains de pied et le mettre au repos. Je paye le sacrifice monétaire, rançon du soulagement, et Eden gagne une piqûre qui le défonce comme un gros pétard. Il reprend sa sieste dès le départ du praticien, complètement stone, la lèvre pendante.

Notre randonnée s’arrête donc officiellement au pied de cette vieille grange. Je détache du licol mon vieux hackamore pour la première fois depuis le départ.
La chose devrait m’émouvoir, mais je pense à peine à mon geste. Je me suis déjà faite à l’idée de finir ce périple, et j’ai pris par ailleurs l’habitude d’habiter chaque instant avec une efficacité pratique, presque animale. Je ne prends plus ce recul philosophico-romantique sur mes actes quotidiens, signe d’ennui finalement. Le bonheur avant tout s’ignore lui-même.



Pendant que Merlin fait un gros câlin à un Eden trèèèès complaisant, et tout mou sous les caresses, j’organise notre rapatriement pour le lendemain. Puis j’emprunte un vélo, et je pars en mission à l’autre bout du village dénicher une clinique vétérinaire pour y acheter les analgésiques que m’a prescrits le véto, et qu’il n’avait plus en réserve. La chaleur est terrible, et je me paume à moitié avant de dénicher une clinique – pas celle que je cherchais, mais une autre, beaucoup, beaucoup plus loin. Le plan de la fille de nos hôtes était un peu tout pourri. J’arrive en sueur dans le hall : cette affreuse grande côte que j’ai dû grimper pour venir m’a tué. Jsuis une cavalière moi ! Les côtes, c’est à cheval d’habitude !

Retour au bercail avec la précieuse médecine. Eden reçoit avec un enthousiasme modéré une pleine seringue de Dafalgan pour Poney dans le museau, puis nous le laissons en paix à l’herbe. Bon. Nous voilà à la fin de nos vacances, avec du temps à tuer (quelle étrange expression).

Nous commençons par aller voir la chienne husky qui s’ennuie dans le jardin d’une maison voisine. Elle est jeune, un peu folle, et complètement super-choupi. Elle semble prête à tout pour quelques caresses, et un peu d’attention. Nos hôtes nous ont confié que ses maîtres, un jeune couple, ne s’en occupaient pas tellement, et depuis la naissance de leur premier enfant l’abandonnaient la plupart du temps au jardin, sans aucune compagnie. Merlin et moi fomentons de très sérieux projets de hold-up, tandis que la chienne, transportée, nous inonde d’amour au travers du grillage bas. Elle se tortille littéralement, nous jette ses grosses pattes au visage, puis finit carrément par sauter par-dessus la clôture directement dans les bras de Merlin, où elle s’immobilise d’un coup. Merlin est tout saisi et ferme les yeux, avec sur le visage l’expression qui traduit chez lui une overdose du sentiment de mignon (bouche tirée presque douloureusement et les yeux fermés très fort). C’est avec regret que nous la reposons derrière le grillage. Malheureusement, on ne vole pas un chien comme on vole un poulet.

Nos hôtes le matin même nous ont autorisés à leur emprunter leurs vélos, qui sont dans un autre état que le nôtre. Un épisode que j’ai oublié de relaté l’a pour toujours amputé de ses freins avant. Nous abordions une route en descente suivie d’une côte assez conséquente, et comme à notre habitude, moi et Eden étions passés les premiers, pour des raisons de sécurité. Pour l’anecdote, afin d’éviter qu’Eden ne suive Merlin au galop dans les descentes, nous les prenons les premiers, tranquillement au trot, puis une fois la côte entamée, Merlin suivait, et pouvait ainsi profiter de son élan. Un accident avec Eden deux ans auparavant m’a vacciné contre les galops pleine balle en descente. Donc nous venions de passer la descente et attaquions la côte en mode charge cheyenne, et pendant ce temps Merlin nous suivait à toute vitesse. Je ne me rappelle plus ce qui s’est coincé entre la roue et le frein, mais il a littéralement explosé. Il n’y a pas eu d’accident, heureusement, mais depuis Merlin est obligé de freiner avec le pied. Ses semelles n’ont pas survécu. Bref.

Nous empruntons donc leurs beaux VTT et passons quelques minutes à nous émerveiller de la maniabilité des bestioles… Avais-je précisé que celui de Merlin avait été déniché dans un vide-grenier trois jours avant le départ ? Il a enduré le voyage avec brio, pour un vélo à 15 boules.
Après avoir attaché Kinaï et Pouletto au tas de foin (avec une petite couverture pour Kinaï, cela va sans dire ; le foin est trop rude pour son petit ventre rose de Cavalier), nous partons visiter le village.

Après quelques kilomètres de route, nous tombons en plein jour de marché, et pas n’importe quel marché : un marché à hippies. Non, on ne les vend pas, ce sont eux qui vous vendent des trucs bios, des légumes et des galettes, des petits fromages et autres joyeusetés. Et les acheteurs ? Des hippies aussi ! Nous sommes ravis. Après avoir négocié un fromage et des petits radis frais, nous nous asseyons à la terrasse d’un café, et contemplons tous ces poilus danser et rire aux notes d’une chanteuse du coin et son petit orchestre. Sous le marché couvert, les exposants remballent leurs étals en discutant. Un restaurant improvisé finit de servir des assiettes de couscous libanais aux vacanciers attablés sur la place. Des gosses se poursuivent un peu partout, à la hauteur des chiens immobiles qui regardent leurs maîtres éplucher le saucisson. Nous sourions comme des crétins au-dessus de nos diabolos-pamplemousse, à voir toute cette agitation de village emplir de joie l’air des rues, que les hirondelles ont déjà déserté. Des sourires de connivence accompagnent les regards qui passent sur nous, et accordent à notre allure débraillée une valeur de ralliement.

Sans pour autant chercher une amitié particulière parmi tous ces visages accueillants, nous nous contentons d’ajouter notre joie à la joie de tous. L’après-midi dorée approche de sa fin quand nous prenons congé du village. En passant dans les rues nous y remarquons toujours une concentration anormale en barbus, chevelus, et autres porteurs de sarouels et de vieux jeans. Qu’est-ce qui les attire ici ? Le mystère reste entier.

De retour à la grange, nous libérons un Kinaï hystérique, et cherchons Pouletto au bout de sa longue laisse. Elle a dédaigné le tas de foin, et le soir approchant, a voulu rejoindre la carriole pour y dormir. Nous la retrouvons empêtrée entre les roues et les montants du vélo, toute bloquée, avec la patte tirée en arrière par le fil. Nous la libérons, désolés, tandis qu’elle bégaye de tous petits caquètements malheureux. Elle a mal à la patte, et boîte sévèrement. Décidemment c’est une épidémie. Nous la posons bien au chaud dans la calèche, sur un petit tas de foin. Eden en reçoit également une part, accompagné de l’aliment pour vaches qui lui plaît toujours autant. Enfin, nous mangeons notre propre repas, agrémenté de nos petits achats de hippy-land. Pouletto est réveillée le temps de la nourrir. Au moment de dormir, je la prends avec moi dans le duvet pour un câlin du soir. Ses ronronnements m’endorment, et pour un peu, elle aurait réussi à passer la nuit sous la couette.

Par Danae : le 26/03/14 à 02:16:27

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PARRRRH LA PUISSSANCEE DU PAVEEEEEEE

Par cocolabricot : le 26/03/14 à 12:47:54

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trop chouette. (pas pavé : concis direct, efficace)

Par Sahel46 : le 26/03/14 à 13:35:20

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Par liteulorce : le 26/03/14 à 16:37:35

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quel kiff..........

Par leverdujour : le 27/03/14 à 13:23:35

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Moi j'ajouterai que tu illumines mes sombres heures de bureau...

Par Danae : le 27/03/14 à 18:56:38

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Merci Leverdujour ! J'en suis très heureuse Un peu de soleil au moins dans la tête. Avec le temps qu'il fait déjà quand on est libre de son temps c'est moyen, mais assis à un bureau j'ose même pas imaginer

Par loulou_maiso : le 03/04/14 à 13:50:52

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GE-NI-AL J'adore ton récit! Tout à coup j'ai hate de me faire l'equibreizh et ou le finistour

Par cocolabricot : le 03/04/14 à 21:42:11

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Moi aussi j veux en decoudre avec la bretagne, vivement cet été...

Par Danae : le 13/04/14 à 17:24:12

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SUITE ET FIN !

Dernier jour
Je me réveille avec un sentiment inhabituel dans l’ombre pailletée de la grange. Je mets une petite minute à réaliser son origine : les vacances sont finies. Je me lève et m’habille avec des gestes plus lents qu’à l’accoutumée, et je prépare le café, comme d’habitude, pendant que Merlin émerge doucement. Kinai, qui a profité du trou au bas de la vielle porte de bois pour s’enfuir en ballade dès les premiers rayons, revient tout pimpant et trempé par la rosée. Je vais saluer Eden en buvant mon café. Sa boiterie est moins visible, mais c’est sans doute dû aux anti-inflammatoires plutôt qu’à une guérison précoce. Après une séance gratouilles, je sors la seringue pleine de Poneydafalgan en fourbe de ma poche et lui fait avaler la sauce. Il se détourne de moi en mâchouillant, l’œil mauvais, dégouté de cette trahison. Il change de tête trois minutes plus tard devant son petit déjeuner pour vaches préféré.

Un besoin intime me pousse peu après à aller explorer les bocages qui s’étendent par-delà la route. Le soleil fait lever des prairies cette brume de chaleur légère qui sera dissipée à midi. Les merles et les mésanges donnent de la voix dans tous les bosquets, et dans l’air fusent ces trilles que l’on tient pour romantiques et qui sont en réalité des chants de guerres territoriales. L’air est plein de pollens, mollement portés par la brise tiède (On sous-estime le plaisir qu’on trouve à se soulager dans un décor pareil. Nos toilettes sont des boîtes sans charme aucun.) Je traverse les hautes herbes en rêvant, et j’effleure de la main les têtes duveteuses qui déjà perdent leur semence (comme dans cette super scène de Gladiator). Voici la fin des vacances, voici la fin de l’été. Un sentiment hybride me poigne le cœur. Quoi ressentir au terme de toutes ces aventures ? Qu’est-ce qui a changé en moi depuis le début de ce voyage ? Je ne sais pas. Je ne suis pas triste, pas vraiment, mais cette prairie qui bourdonne au soleil infuse sous ma peau un sentiment de douceur et de joie presque excessifs, qui m’auraient poussé aux larmes un mois plus tôt. Mais voilà, en moi tout s’équilibre. C’est cela qui a changé. Pas de tristesse, non. Me voici devenue perméable à ce qui m’entoure, et cela sans débordement, sans remous aucun. J’ai toujours été une pile émotionnelle, capable de changements d’humeur fulgurants, réactive à toute influence, et globalement instable, pour le meilleur et pour le pire. Pour garder une stabilité et éviter les heurts, je m’efforçais de me blinder, et de durcir mon tempérament.
Une partie de ce problème est à présent guéri. Je le ressens d’une façon confuse, mais à présent que je vous relate cette aventure, neuf mois plus tard, je constate que c’est vrai, et sans doute acquis pour un moment. La paix, la douceur et l’amour que nous avons connu au fil de ce voyage sont passés dans mon sang.

Cette lente alchimie nous a changés, Merlin, Eden, Kinaï et moi, et allez, pourquoi pas Pouletto, pas après pas, au fil de notre voyage. Comment ? En nous mêlant au monde, en mêlant nos existences respectives d’une façon si intime que les limites entre les choses s’en trouvaient brouillées. Nous n’étions plus différents animaux marchant ensemble, mais cinq personnes, cinq individus apprenant à se connaître et partageant leurs jours, leurs nuits, leur nourriture et de la joie à travers un voyage. Il n’y a pas de leçon plus difficile à apprendre dans le monde ou nous vivons, et pourtant plus simple à comprendre : nous ne sommes qu’un. La patte de mon poulet, la crinière d’Eden, le cœur de mon amour, le museau de Kinaï, mon sein gauche et la racine de l’arbre, c’est la même matière, la même barbaque, la même pâte, traversée, animée par la Vie. Elle se ballade sous toutes les formes, et tout ce qu’elle porte cherche à manger, dormir, vivre et baiser dans la même joie et la même peine. Nous ne sommes qu’un. Je connaissais cette chanson, mais la leçon est passée sous ma peau.

J’avais payé une thérapie l’an passé pour sortir de la dépression. Celle-là m’aura couté moins cher, et je crois que je peux la conseiller à tout le monde.

Tandis que je marche dans l’herbe sous les pommiers, je ne réalise pas encore ces acquis, savourant simplement ce calme et cette tendresse que je ressens dans mon corps en ce dernier jour de vacances. Je m’approche d’un vieux puis qu’abrite un bosquet de noisetiers, d’une facture inconnue pour moi : il a la forme d’une demi-lune, et au-dessus de la margelle, une petite voûte de pierre protège l’eau des débris. Un vieux seau vermoulu sans doute plus âgé que moi finit de vieillir, suspendu à la poulie rouillée. Je me penche au-dessus de l’eau moire, et je contemple sous la surface une forêt de prêles aquatiques qui descend loin sous terre, peuplée de tritons immobiles, les pattes écarquillées sur un bout d’algue. Je dois faire à peu près la même tête que quand j’avais cinq ans, à l’époque où ma passion pour les petites bestioles aquatiques m’a saisie, pour ne plus jamais me quitter. Après cinq longues années d’un apprentissage acharné, j’étais passée maître dans le difficile art du chopage d’amphibien. Je n’ai pas perdu mon adresse. Deux secondes plus tard, je contemple un triton halluciné qui déambule sur ma paume, avec ses petites pattes mouillées et ses yeux d’or. Je le relâche et le regarde se planquer dans l’ombre des algues. Je passe ensuite sous un fil pour m’assoir au soleil près d’un petit troupeau de vaches rousses. Le taureau qui les garde s’approche lentement de moi et me flaire à distance en roulant des yeux. Les génisses à ses côtés me regardent sans émotion, couchées au soleil comme moi, bavant de longs fils de soie. Un long moment passe dans une paix parfaite.

Par Danae : le 13/04/14 à 17:25:27

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Quand je retrouve Merlin, il est bien réveillé, et prêt pour une dernière escapade. On a juste le temps avant que le transporteur ne débarque, en début d’après-midi. Nous attachons une nouvelle fois Kinaï, et laissons cette fois Pouletto attaché près du lit, où elle ne pourra pas aller s’emmêler les pattes. Avant de partir, nous mettons la grange en ordre, remontons le clic-clac, plions les draps, et rangeons toutes nos affaires pour le grand départ. Puis nous filons à travers les rues pleines d’ombre et de soleil en hurlant n’importe quoi, comme à notre habitude. Nous filons à toute vitesse sur la route, et gagnons un petit bois, que traverse un ruisseau. Nous y trempons nos pieds et cherchons des poissons. Leur rareté nous attriste, surtout Merlin qui a connu dans son enfance des rivières et ruisseaux tellement pleins de vie qu’il revenait de ses pêches avec des seaux remplis de poissons, qu’il offrait aux voisins et amis faute de pouvoir tous les manger. Les pesticides ont bel et bien enterré cette époque. Nous rêvons ensemble à la fin du monde. Est-ce que l’arrêt de la croissance sauverait ce qu’il reste de la nature, ou est-ce déjà trop tard ? Est-ce que oui ou non tout ce bordel de non-sens économico-politico-mondialisant qui nous berce dans une crise à rallonge finira par péter comme en Grèce, ou est-ce que ça va encore durer jusqu’à ce qu’on en crève ? A la fois amers et joyeux, nous prenons le parti de continuer à barboter pieds nus dans l’eau, devant l’absence de données suffisantes pour répondre constructivement à la question. On ne connait pas l’avenir, et ça nous fait un peu peur, mais tant pis. De toute façon Merlin et moi ne savons pas vivre autrement que dans le présent. Ce réflexe de traumatisés ce révèle parfois une vraie bénédiction.

De retour à la grange, une fois essuyé l’ouragan Kinaï, nous découvrons Pouletto tranquillement installée au sommet de la pile de linge fraîchement plié que nous avions disposé sur un meuble. Elle a dédaigné le tas de paille que nous lui avions installé par terre pour aller se caler à l’endroit le plus confortable possible, et nous regarde, l’œil un peu rond, avec un port de tête princier et l’air de dire : plaît-il ? Il y a un problème ?





Par Danae : le 13/04/14 à 17:27:15

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Nous sommes écroulés, et nous la virons de là vite fait avant qu’elle ne tache les draps de nos hôtes, sans prendre en compte ses caquètements scandalisés. Le transporteur m’a appelé, il est en route. Il nous reste un peu de temps avant son arrivée, et nous réalisons les derniers clichés de nos vacances, sensés résumer leur essence première, avant même toute cette tartine psycho-spirituelle que je vous ai servie précédemment : le N’imp’ Nawak. La série de clichés suivante illustre parfaitement la chose, et servira de conclusion philosophique à notre belle épopée.










Par Danae : le 13/04/14 à 17:27:43

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Une petite heure plus tard, le transporteur arrive avec son camion. Il a l’air sympa comme tout et accepte de charger tout notre barda, a l’exception du vélo et de la carriole, par mesure de sécurité. Mais la chose est déjà arrangée : je vais accompagner Eden avec Kinaï, tandis que Merlin a prévu de rentrer en train par la gare de Questembert dans l’après-midi, accompagné de Pouletto, qu’il transportera discrètement dans un sac. Notre hôte, toujours aussi adorable, a proposé de nous apporter la carriole (qui ne sera pas acceptée dans le train) le weekend suivant, à l’occasion d’un voyage à Rennes. Tout est nickel, et comme d’habitude nous sommes vernis. Je sors Eden de son pré et lui explique que nous allons rentrer à la maison, qu’il va retrouver son copain de pré, et qu’il pourra se reposer. Je pense qu’il fait quelque part le lien entre le camion et le retour à la pension, car contrairement à l’habitude, il ne fait aucune difficulté pour monter. Il doit aussi se rappeler de nos autres escapades, qui se sont également terminées en camion. Je remplis le filet d’un bon paquet de foin offert pour la route, le gratouille et rassure les petites n’oreilles qui se sont mises à gigoter dans tous les sens dans l’appréhension du départ. Après avoir chaleureusement remercié nos hôtes, j’embrasse Merlin avec émotion, et je scelle la fin du voyage en grimpant à bord. Le camion démarre : c’est parti.

La route est agréable. Je discute de tout et de rien avec le monsieur qui se révèle charmant. Les deux heures de trajet alternent papotages et silences tranquilles, que meuble la radio. De vieux tubes passent sur Nostalgie, et le conducteur à l’occasion chante à mi-voix, fort juste ma foi. Je savoure la rapidité du voyage, un peu effarée de la vitesse avec laquelle nous regagnons Rennes, après ces semaines de randonnée au pas. Comme si notre long périple n’avait été qu’un interlude au ralenti : nous regagnons un monde où la trépidation est la règle. Deux semaines pour atteindre la mer, deux heures pour rentrer. Gloups.

Arrivés à Vern-sur Seiche, je débarque un Eden frémissant du camion, et l’attache le temps de débarquer mes affaires. Il fait le même temps qu’à notre départ, un ciel nuageux et frais. Les autres propriétaires font des remarques appréciatrices à Eden : il a en effet perdu tout son gras, et a gagné une musculature d’athlète. Mais nous avons tous changé : j’ai moi aussi gagné en muscle, surtout du dos, des abdos et des jambes, et Merlin encore plus. Même Kinaï est sec et musclé comme un petit chacal, et quand à Pouletto, elle a bien grandi en trois semaines, et devient une vraie belle poule (même si elle pioupioute encore comme un bébé). Nous sommes aussi bien bronzés, nous autres les humains. La peau de nos bras et de nos mains est si tannée que nos ongles semblent tous blancs. Et pour la première fois depuis son accident, Merlin a exposé ses cicatrices au soleil, sans gros dégâts. Elles ont bien supporté les coups de soleil successifs, et gagné un teint de peau sain et uniforme, couleur miel, qu’elles garderont tout l’hiver.

Je range le gros de nos affaires dans le placard qui m’est attribué dans la sellerie. En m’apprêtant à le refermer, je pouffe de rire en comparant son contenu à celui de mes voisines, propres et bien rangés : le mien renferme à présent un tas de cuir, de sacs, de sangles de fourrures puantes et de bordel en vrac (mon porte-selle est cassé). Par le pouvoir du N’imp Nawak, qu’il en soit ainsi.

Après un petit pansage, je conduis un Eden sautillant à son pré habituel. Il ne tient pas en place, et me tire littéralement vers la pâture, où l’attend son copain, un espagnol bai nommé Ted, du même âge que lui, au caractère d’andouille de poulain n’ayant pas fini de grandir. Il a passé le mois précédent tout seul, les autres chevaux étant tous en couple en pâture. Quand il aperçoit Eden s’approcher, il hennit de joie et galope comme un fou depuis l’autre bout du pré, et lui fait une fête de jeune chien, démonstratif comme à son habitude. Eden, plus bourru, fait semblant de le repousser et ils se lancent dans une course de retrouvailles. Puis Eden fait soigneusement le tour du pré en reniflant chaque crottin, pendant que Monsieur Nouille le suit comme son ombre en caracolant. Je passe un long moment à les regarder, assise dans le trèfle, heureuse et mélancolique. Puis après un dernier bisou et une dernière seringue d’anti-inflammatoires en fourbe qui le fait changer de tête et partir dans l’autre sens, je quitte le pré en rigolant.


Par Danae : le 13/04/14 à 17:28:09

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Après avoir pris le bus jusqu’à Rennes, le retour en métro me fait tout de même un choc. Les gens font la gueule ! Bienvenue en ville !
Je retrouve la place Sainte Anne avec plaisir. C’est l’endroit que je préfère à Rennes, avec son air permanent de fin de beuverie, où la population débraillée se mêle en bonne entente à la bourgeoisie mâtinée de bohème. C’est dans ces rues que j’ai apprivoisé la joie de vivre, après avoir quitté ma grise Normandie natale. Rennes, tu m’auras pas manqué, mais c’est bon de te retrouver !

Retour à notre collocation quelques rues plus loin. Merlin est rentré quelques heures avant moi et est tombé sur le poil de nos flemmards de colocataires pour arranger le mois de bordel et de vaisselle accumulés pendant notre absence. Je débarque dans un appart presque rangé, heureuse de retrouver mes colocs et amis. Vautrés tous ensemble sur notre grand lit, nous leur racontons nos aventures avec photos à l’appui.

Les jours suivants, je serai paralysée par une espèce de crise de flemme monumentale, en réaction de compensation au choc du retour à la civilisation. Je ne m’attendais pas à réagir ainsi, mais le luxe de la vie quotidienne me dépasse en quelque sorte, et comme ces natifs amérindiens corrompus par le whiskie, je me vautrerai dans une décadence totale, matant des séries et des films accompagnés de bols de céréales, ou m’adonnant à la lecture de BD au soleil, à la suite de grasses matinées très grasses, sans complexe aucun. La crise durera une semaine. Pouletto découvre à son tour la vie citadine, hébergé sur le balcon couvert de foin et transformé en poulailler. Nous lui avons installé une petite caisse de bois où elle passe ses nuits, et nous la rentrons régulièrement pour lui faire des câlins. Elle découvre le concept de lit et d’oreiller avec un grand enthousiasme, et nous avons toutes les peines du monde à l’en chasser quand elle décide de s’y vautrer. Elle apprécie également la compagnie, et nous passons quelques soirées mémorables à faire la fête tous ensemble, moyennant quelques ramassages de crottes. Je me rappellerai toute ma vie d’un certain strip-poker en état d’ébriété avancée où elle avait décidé de voler jusqu’au lustre pour s’y percher, et qu’elle était retombée par surprise sur la tête d’un ami, pendant qu’un autre, contraint par un gage, imitait Zoidberg (cf Futurama) a poil au milieu du salon. Une image gravée dans ma mémoire pour toujours. Elle passera un bon mois avec nous avant que nous trouvions un ami fermier qui accepte de l’héberger dans son poulailler.

Quatre mois plus tard, Merlin et moi emménageons dans un petit village non loin de Rennes, poussés par le besoin d’espace, après quelques six mois à vivre en colocation-squat à huit ou neuf dans un trois-pièces. Eden et Kinaï ont bien entendu suivi le mouvement, et nous attendons d’ajouter Pouletto au petit poulailler que nous avons construit dans le jardin. Nous passons là un hiver paisible au coin de la cheminée, de petits boulots en CDD éphémères. La vie n’est pas dure. Nous sommes pauvres, mais nous vivons comme des princes, et nous sommes riches de tant de trésors. Merlin a commencé à faire pousser un très beau potager, et j’ai construit une yourte dans le jardin pour occuper mon chômage. Eden vit au pré avec un petit troupeau de juments qu’il tyrannise à loisir. La saison des récoltes approche ; nous passons notre permis et cherchons le moyen d’accumuler quelques économies. Nous passerons sagement l’été dans notre village, comme de bons petits citoyens. Pas de vagues, pas trop de N’imp Nawak par ici. Nous serons paisibles et travailleurs. Dès que nous aurons accumulé assez de smic pour nous sentir tranquilles, nous repartirons, avec quelques amis peut-être. On the road again… non plus un mois, mais six.

Fuck yeah.



Par Danae : le 13/04/14 à 17:39:05

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Voilà, c'est fini ! En attendant la prochaine rando !

J'invite tous ceux qui en ont l'envie et la motive de poursuivre avec leurs récits, même brefs, pour que ce post reste vivant et devienne un lieu de partage ! Surtout si vous avez de jolies photos, ne lésinez pas, mon récit en manque cruellement et elles sont parfois plus parlantes que les mots !

J'espère que ça vous a plu ! (je crois que oui )

De mon côté je passe à la relecture de ce récit un peu à l'arrache, je fignole les détails, je passe au blanco les petits passages illégaux... et je commence à démarcher les éditeurs. Vous m'avez convaincue de tenter le coup, et puis j'ai appris il y a quelques jours que j'avais gagné un concours de nouvelles avec un de mes textes, ça m'a donné une grosse motivation !!

MERCI A TOUS

Par dilou : le 13/04/14 à 18:11:31

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797 remerciements
Dire merci
Bravo pour ta nouvelle !
J'espère très fort que tu trouveras un éditeur pour ton récit
Imprime-lui les réactions de tes lecteurs sur ce topic, in ne pourra que dire oui !

Par Danae : le 13/04/14 à 18:32:32

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C'est pas con ça... Je vais le faire.

Par lysterre : le 13/04/14 à 20:54:07

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10 remerciements
Dire merci
et oui les belles histoires ont une fin..

j'ai adoré cette lecture ,tellement vivante ,pétillante..

bonne idée que ce post continue...mais qui va relever le défi..lol

rando initiatique..3 mois...pour se retrouver ou se trouver...prendre du recul

une maison d"édition et une collection

www.transboreal.fr
contact@transboreal.fr

maison d'édition qui veut promouvoir le travail d'auteur ,illustrateur (tu peux joindre des aquarelles..)ayant fait preuve d'abnégation et de courage lors d'études ou de voyage marqués par une réelle connivence avec le milieu humain ou le monde naturel....
collection "petite philosophie du voyage"..j'en ai lu plusieurs et suis fan..

23 rue berthollet Paris.

OSES

Par Danae : le 13/04/14 à 22:32:03

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3 remerciements
Dire merci
Je me suis justement inspirée de la mise en page d'un de leurs bouquins, "Cavalier des Steppes", pour faire la mise en page aujourd'hui !

Merci pour le lien, ça va m'être très utile. Au pire ils pourront surement me rediriger vers d'autres éditeurs.

Par carococo : le 14/04/14 à 14:10:51

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1064 messages

47 remerciements
Dire merci
Un amère goût de nostalgie s'empare de moi une fois le récit achevé...
Du récit d'aventure vécu et à conté j'en ai à foison, des illustrations également...mais pas perchée sur mes fidèles destriers malheureusement, à deux pattes et deux roues...me voilà donc hors concours pour poursuivre le post..
Tout vient à point à qui sait attendre...
Un grand merci Danae pour avoir partagé cette aventure avec nous, avides, pitoyables et blancs comme des Q derrière notre écran
Chaque retour à la réalité est difficile, pris dans l'ambivalence des sentiments face à l'affreux paradoxe dans lequel nous vivons. Comme toi je mets souvent du temps à atterir avant que le quotidien ne me rattrape malgré moi.
Peut-être qu'un jour je ne reviendrai pas qui sait...

Par Quézak1010 : le 15/04/14 à 09:45:59

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2335 messages

2 remerciements
Dire merci
Danae: merci!! c'était une super détente ton récit! j'ai adoré!!


Par cyberds : le 15/04/14 à 15:12:07

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1921 remerciements
Dire merci
je passais tout les jours pour lire la fin !!!
j'avais fini par me décourager, et elle est lààààààà
bravo !!


Message édité le 15/04/14 à 15:12

Par FannyAvril : le 17/04/14 à 15:19:34

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1 remerciements
Dire merci
J'ai tout lu et ...
C'est tellement bien raconté, on s'y croit presque.
Il manque de photo, mais du coup, on s'imagine plein de choses, et j'ai trouvé ça magique.
Merci !

Par kefiretlome : le 17/04/14 à 16:20:42

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864 remerciements
Dire merci
Merci pour ces beaux moments que tu as partagé avec nous, et qui nous ont permis de nous évader du quotidien en rêvant un peu.
C'est si bien raconté !!!

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